D’où viennent les salutations au soleil et quel lien avec le Yoga?

Les Salutations au soleil (en sanskrit Surya Namaskar), de quoi s’agit-il?

Une salutation au soleil est un ensemble de mouvements connectés au souffle, dans un ordre prédéfini (une séquence). Il existe une grande variété de salutations au soleil en fonction des différentes écoles de yoga.

Nous explorerons dans cet article l’histoire liée à l’apparition des salutations au soleil et leur lien avec la pratique du yoga.

Les  premières versions de Surya Namaskar (Les salutations au soleil)

le Rajah d’Aundh - Pratinidhi Pant

L’une des premières versions de Surya Namaskar est apparue en 1938 dans l’état d’Aundh (qui fait maintenant partie de l’état Indien du Maharashtra), dans l’ouvrage « 10 conseils pour être en bonne santé » de Pratinidhi Pant, le Rajah (souverain hindou) de cette région.

Cette double page apparaissait à la fin de son livre, et il était spécifié qu’elle pouvait être détachée pour guider l’utilisateur, sans risque de dégrader l’ouvrage.

Le Rajah ne prétendait pas avoir inventé le concept de Surya Namaskar (salutations au soleil) :

« ce que j’explique ici est fondamental quand il s’agit de performer les traditionnelles surya namaskars, celles que pratiquait mon père le défunt Rajah d’Aundh. Pendant 55 ans, il les faisait tous les jours. Il les a simplement amélioré en se basant sur les études scientifiques de son époque, et en les expérimentant sur lui-même». Pant, 1938

Il s’avère en effet que les salutations au soleil sont issues d’une tradition ancestrale, pensées à l’origine pour honorer le soleil, les poses ressemblant à celles d’un art martial séculaire.

Le souverain, qui était aussi bodybuilder, révèle dans son ouvrage que les lutteurs pratiquaient également de tels exercices pour construire de la force, et qu’une pratique excessive était contre-productive.

La séquence de Surya Namaskar a donc été présentée par le Rajah d’Aundh dans son ouvrage publié en Angleterre en 1938.

le Rajah d’Aundh précisait que la séquence devait être répétée à plusieurs reprises, accompagnée d’une respiration coordonnée. En revanche, à aucun moment n’indiquait-il que les salutations au soleil s’apparentaient au yoga.

Aussi, il a beaucoup oeuvré pour les promouvoir sous forme d’exercices physiques dans les écoles de son état.

L’homme au physique parfait - Le culturiste K.V. Iyer

Le culturiste K.V. Iyer développa sa propre méthode d’entraînement, un mix de Hatha yoga et de salutations au soleil dans une optique de conditionnement physique, le tout conjugué à d’autres techniques occidentales.

Puis il ouvra différents centre de remise en forme à Bangalore, qui proposaient du bodybuilding et sa “méthode de fitness”.

Couverture de « physique parfait » de K.V. Iyer, 1936.

La modestie n’étant pas sa qualité principale, Iyer clamait à qui voulait l’entendre qu’il avait “le physique le plus parfait d’Inde” ( source: Yoga body, the origins of modern posture practice / Mark Singleton 2010).

Dans les années 30, Iyer est apparu dans différents magazines de culture physique, souvent capturé dans des postures rappelant des statues grecques antiques. Iyer était un fervent admirateur d’Eugen Sandow, un athlète allemand qui fut le premier culturiste connu. Il a aussi établi une correspondance soutenue avec une autre célébrité du milieu, Charles Atlas.

Iyer était également un adepte dévoué de hatha yoga et le décrivait comme « un ancien système de culturisme, qui a plus à voir avec qui je suis aujourd’hui que toutes les haltères ou autre équipement que j’ai pu utiliser».

Iyer a publié son propre livret sur les salutations au soleil en 1937, et à l’instar du Rajah d’Aundh, il ne les a jamais associé à la pratique du yoga. 

Les exercices de bodybuilding et de gymnastique d’Eugen Sandow ont donc indéniablement eu de l’influence sur la communauté culturiste indienne. Pour autant, les pratiques autochtones (telles que la lutte, le kabaddi, le mallakhamba, ou certains arts martiaux) restaient également très prisées.

  Représentations de sports traditionnels et d’arts martiaux indiens

1- Pratique traditionnelle de la lutte - peinture de la région de Kalighat

2- Peinture du 19ème siècle décrivant deux lutteurs en plein combat

3- Acrobates décrits comme des danseurs de corde, 1815

L’engouement international pour la culture physique, avec comme promesse une nouvelle masculinité et la possibilité de devenir une meilleure version de soi-même, a particulièrement trouvé échos dans un contexte post-colonial en Asie du Sud.

Robert Baden-Powell, un général britannique, décrivait la “mission coloniale” comme “la noble tâche de permettre le développement des corps, des caractères et des esprits de gens qui autrement seraient de nature indolente”. (Source : James H. Mills, Satadru Sen. 2004)

Une telle rhétorique aura laissé des traces dans la population autochtone après des siècles de colonisations et un système éducatif anglicisé.

Alors que les mouvements indépendantistes prenaient de l’ampleur, la représentation de corps d’hommes forts, et capables de surpasser les standards coloniaux devint une fierté nationale. La force physique s’afficha comme l’étendard d’une identité culturelle émancipée et d’un mouvement de résistance face aux colons.

D’où l’émergence d’une synthèse entre culture physique internationale et méthodes ancestrales.

Le professeur Manikrao - fondateur des premiers gymnases en Inde

Gajanan Yashwant Manik, communément appelé le professeur Manikrao, était un lutteur émérite et un pratiquant aguerri d’arts martiaux, exerçant comme pharmacien et travaillant également dans le social.

Il a passé sa vie entière à développer des approches novatrices pour l’éducation physique de la jeunesse, en utilisant des techniques issues des courants de fitness traditionnels autant que des arts martiaux ancestraux.

Aussi, avec la complicité d’Iyer et d’autres, ils ouvrirent de nombreux gymnases et des écoles de lutte, lieux qui servaient également d’insurrection politique, sous couvert d’y pratiquer le yoga.

L’émergence du Yoga à visée thérapeutique

Source : Shatchakra niroopana chittra avec bhashya et bhasha de Haṃsasvarūpa, Svāmi - 1900–10

Cette illustration de Swami Hamsasvarupa représente une tentative pour relier le corps métaphysique au corps anatomique

Swami a durant sa jeunesse fréquenté les centres d’éducation sportive de Manikrao. Pour autant, il fut principalement influencé par son passage à l’ashram de Sri Madhavadas (un ancien barrista de Bengalore reconverti en renonçant) à Gujarat où il y pratiqua un yoga ascétique.

Sri Madhavadas a influencé deux réformateurs significatifs du yoga moderne : Kuvalayananda et son contemporain Yogendra. À eux deux ils ont établi les fondations des aspects santé et fitness du yoga moderne et du yoga thérapie.

Swami Kuvalayananda - pionnier sur les fondements scientifiques du yoga

Swami Kuvalayananda

Kuvalayananda résida deux ans à l’ashram, où il y apprit le hatha yoga, incluant les asana (postures), les kriya (techniques de nettoyage) et le pranayama (exercices de respiration) destinés à des sujets touchés par des problèmes médicaux.

En 1921, Kuvalayananda combina ce qu’il avait appris de Madhavadas à ses propres connaissances scientifiques pour créer un centre de recherche à côté de Bombay (maintenant Mumbai).

Avec son équipe, ils mesurèrent les effets physiologiques des asana, des pranayama, des kriya et de l’usage des bandha pour développer un yoga thérapeutique. Leurs travaux furent publiés dans une revue à portée scientifique ce qui procura à la notion de yoga un gage de respectabilité dans le monde moderne.

À la croisée assumée entre culture physique et yoga, Kuvalayananda développa un système yogique à destination des établissements scholaires, à l’image de Manikrao.

Pages issues de la revue scientifique du journal 'Yoga Mimansa, 1930', montrant les résultats des analyses de mesures de pression artérielle suite aux pratiques des postures de yoga.

Yogendra - le yoga pour guérir

Durant l’enfance, Yogendra (le second réformateur influent du yoga moderne, également élève de Madhavadasji’s) a souffert de sérieux problèmes de thyroïde.

Grandissant dans la classe moyenne de Bombay, il fut initié à la lutte et au conditionnement physique pendant son adolescence, héritant du surnom de “Monsieur Muscle”. En 1916, après avoir entendu un discours de Madhavadas, et contre l’avis de son père, il abandonna ses études et s’installa à l’ ashram de Madhavadas.

Deux and plus tard, Yogendra retourna à Bombay. Grâce à l’aide de relations fortunées, il y créa le “Yoga institut”, avec comme ambition d’y promouvoir santé et guérison.

La classe moyenne de Bombay s’était familiarisée au modèle international dominant de la culture physique, et tout particulièrement à la gym suédoise.

Aussi, le mouvement moderne du yoga fut bien accueilli, perçu autant comme une technique de guérison que comme une activité physique, permettant de conserver un corps en bonne santé.

Fort de ce succès, Yogendra décida de suivre les pas de Vivekananda, le créateur du Rajah yoga, et exporta son modèle aux U.S. Durant ses quatre années passées aux États-Unis, il milita pour associer le yoga à une forme de thérapie, en donnant des conférences et des démonstrations.

En 1918, il avait levé assez de fonds pour construire une filière américaine de son « Yoga institut », qui attira une communauté intéressée par les médecines alternatives, et dont Harvey Kellogg (le médecin inventeur des céréales) fut un fervent supporteur.

Yogendra était perçu comme le “yogi bon père de famille”. Sa proposition consistait en une forme moderne et aseptisée de hatha yoga, pensée pour attirer une classe moyenne aisée vers une activité fitness bénéfique pour la santé.

 À l’instar de Vivekananda, il prit soin de distancier sa proposition de la réputation houleuse associée aux yogis jusqu’alors ( perçus historiquement comme des criminels, bêtes de foires, ermites ou guerriers).

En revanche, à la différence de Vivekanada, qui rejeta l’aspect physique du yoga, Yogendra réhabilita l’aspect postural, en promettant des effets sur la bonne santé physique, l’harmonie mentale et l’élévation spirituelle.

Sa vision consistait en une pratique holistique, qui trouvait ses racines dans des traditions anciennes.

Et il était clairement opposé à y introduire des salutations au soleil car disait-il : « Surya Namaskar, une forme de gymnastique destinée à vénérer le soleil en Inde, a été mélangé au yoga de façon arbitraire et mal-avisées. » 

Les salutations, yoga ou pas?

Kuvalayananda était également un adepte des salutations au soleil.

Mark Singleton souligne que dans le manuel pédagogique que Kuvalayananda avait développé pour ses établissements, un chapitre concernait la pratique des exercices d’arts martiaux indiens, des salutations au soleil et des postures de yoga.

Kuvalayananda différenciait les salutations au soleil des postures de yoga mais les classait sous la même catégorie : l’exercice physique.

À la fin des années 30, tous les éléments qui vont constituer le yoga moderne étaient déjà présents dans cette Inde coloniale : la synthèse des techniques d’entrainement modernes et anciennes, l’aspect thérapeutique de la méthode yoga, les racines spirituelles et mystiques qui trouvèrent échos chez les orientalistes et les adeptes du New-age en Occident, et la fibre nationaliste pour séduire les indiens.

Dans ce contexte, les salutations au soleil vont définitivement s’agréger à la pratique du yoga, devenant même un de ses aspects les plus connus de nos jours.

Sources:

"Aux origines du yoga postural moderne" de Mark Singleton

"Confronting The Body" de James H Mills

"The Story of Yoga: From Ancient India to the Modern West" de Alistair Shearer

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